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Le jardin d'Orphée

Livre d'artiste, exemplaire unique format 50x 65 cm.

Texte: Jean-Louis Masseboeuf.

 

Papier Moulin de Larroque- format 50X 65cm.

Dessins: graphite et aquarelle;

Coffret du livre réalisé par Jeanne frère, Nantes avec un dessin original.

Reproductions photographiques Christophe Le Dévéhat.

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Chant 1

                                                                 

Nul ne saurait dire d’où me venait ce don… J’ai fait de la musique un jardin d’images lumineuses où volaient des abeilles. J’inventais le miel des sons, donnant à voir et à entendre l’ordre profond de leur vol imprévisible. Tel était mon secret.

 

Mon chant donnait vie à des fleurs inconnues venues du noir profond de la terre. Qui les entendait dans le murmure du vent, qui les voyait s’ouvrir à la lumière, s’apaisait. Entrait dans la couleur ; voyait la musique ; oubliait la douleur d’être et les sombres origines de tout ce qui est.

J’ai fait naître ainsi de toutes choses un chœur de matières contraires, une polyphonie de chairs, de pierres, d’eaux. Peintre des sons, j’unifiais les cœurs dispersés, j’éloignais la discorde entre le jour et la nuit, je déjouais la mort à voix de sirènes. Tel était mon humain pouvoir.

Puis Elle parut à mes yeux, réelle à l’horizon de mes rêves. Et pour la première fois, j’entendis un chant autre, une note bleue, un accord singulier résonnant au plus profond de mon corps.

Ses yeux de vert et d’argent ouvraient alors les miens. Son visage mettait en musique tout ce qui me manquait ; sa robe pleine de transparences chantait la légèreté des évidences ; sa voix disant mon nom avait l’intonation d’un orage secret.

Je l’aimais. J’ajoutais deux cordes à ma cithare pour qu’elle puisse dire toute l’étendue des battements de nos cœurs. J’ajoutais à mon chant le registre immortel du désir pour qu’éclate au monde la rumeur de nos nuits d’harmonie.

J’ai connu pourtant la peur de perdre. J’ai connu la force anxieuse d’aimer ignorée des dieux. Jusqu’à défier les enfers, à refuser la mort et braver l’impossible. J’ai connu l’impatience créatrice…

 Chant 2

Je suis une musique autre, mon chant n’a pas de mots ; il est pareil au givre sur les branches quand même l’hiver est en lumière, enveloppe et parure d’une sève invisible que je porte en moi, inaliénable.

Je suis ce chant incarné, je suis le temps devenu chair quand le temps est venu de donner naissance. J’étais déjà avant que de naître, je serai dans l’au-delà de ma mort.

Mes seins sont beaux ; et ils le savent, les prophètes de l’interdit, les dieux stériles, les jaloux de l’immortalité. Même sous la bure de ma destinée volée, ils appellent la main de l’homme puis la bouche de l’enfant. En tout lieu, en tout temps, ils disent la mémoire du désir d’être et la soif du partage.

Mon corps est d’un bleu profond et changeant, venu d’un ciel lointain et des mystères de la mer. J’emporterai ce bleu jusqu’aux enfers s’il le faut.

Je suis cette couleur que nul ne peut s’approprier, je suis la musique charnelle qui survit dans la nuit noire, je suis le nom donné à ce qui résiste aux ténèbres. Je m’appelle Eurydice.

Tu t’es retourné vers moi, ami, malgré la Loi et le risque. Tu m’as regardée, amour, pour que mon visage donne à ton chant le modelé du désir et recule l’horizon de notre brève histoire.

Je le sais maintenant, ton impatience fut le plus profond de ton art, le plus sincère, le plus fragile, mais le plus vrai face aux décisions aveugles de la mort.

    Chant 3

Quel chant pour ceux qui restent ? interroge l’oracle. Maintenant que la mort est passée sur l’amour comme une vague en reflux, et que les pas s’effacent de ceux qui marchaient côte à côte.

Que faire des images diffuses des visages qui s’aimèrent, puis moururent sans se faner. Du dessin de leurs corps engloutis dans la ténèbre, leurs corps déchiquetés sous la mitraille du temps et de la haine. Comment entendre encore la musique de leurs voix perdues ?

Ne pas pleurer, dit-il. Ne pas maudire. Car la mort n’est jamais triomphante, elle recule à pas lents devant la mémoire, elle fuit dans l’au-delà des mers, abandonnant ici la fine poussière de la renaissance.

Stèles et tombeaux marquent l’inoublié. Le fruit de la douleur aura par eux le visage de l’enfant, l’enfant des amours empêchées. Stèles et tombeaux diront plus que la perte ; l’enfant viendra, il s’adossera à leur matière dure, et tournera son visage vers le soleil, chantonnant un rêve fragile de lumière. Stèles et tombeaux seront les lieux du chagrin fertile, pareils aux arbres du jardin où toute histoire commence.

Ecoutez, dit-il. Le silence qui suit la mort dans le cycle des rires et des larmes, est fin comme une aube. Le jour qui toujours se lève saura y faire naître la musique nouvelle, encore hésitante, de la terre prodigue.

Que reste-t-il, dit l’oracle, des livres qui se referment ?

Peut-être seulement quelques pages tissées dans les blancs presque identiques où furent ensevelis les amants morts par sombre injustice, et d’où naîtront les mots toujours premiers d’un chant renouvelé.

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